Jordanie – Les trésors de Pétra

Le Trésor (Khazneh)

Le 22 août 1812, l’explorateur suisse Johann Ludwig Burckhardt atteint le défilé rocheux qui mène à l’antique cité nabatéenne de Pétra. Flanqué d’un guide local bédouin, il s’engage dans l’étroit Siq (canyon) de grès rose.

Johann est le premier Européen à s’y aventurer, à tout le moins depuis l’époque des croisades. Les splendeurs qu’il y découvre le laissent pantois d’admiration. Le premier bâtiment nabatéen rencontré dans la faille rocheuse est appelé d’ailleurs Khazneh (Trésor) par les Bédouins.

Johann Ludwig Burckhardt

Né à Lausanne en 1874 d’une famille patricienne bâloise, Johann Ludwig Burckhardt étudie en Suisse et en Allemagne, avant gagner en 1806 le Royaume-Uni. A Londres, il rejoint l’Association africaine, dont la vocation scientifique et commerciale sied à sa passion d’explorateur. Johann brûle en effet de découvrir les sources du Nil – l’une des grandes énigmes géographiques du XIXe siècle.

Financé l’Association africaine, Johann devient d’abord orientaliste afin de mieux préparer la réalisation son grand projet. Il entend remonter le cours du Nil, de son embouchure égyptienne jusqu’à sa source située quelque part dans les immensités inconnues du continent africain.

En 1809, Johann embarque pour Alep, en Syrie. Il y perfectionne sa connaissance de la langue arabe et du droit islamique, et se convertit – formellement du moins – à l’Islam. Par discrétion, Johann adopte bientôt le pseudonyme de cheikh Ibrahim et déguise en activités commerciales ses nombreux voyages d’études en Syrie et au Liban.

Redécouverte de Pétra

En juin 1812, Johann quitte Damas pour le Caire, avant de se diriger vers le village de Wadi Musa (vallée de Moïse). Les Bédouins du désert avaient aiguisé sa curiosité en évoquant une cité troglodyte abandonnée dans les montagnes de Sharra, proche de Wadi Musa ; Johann pense à Pétra. La cité creusée dans la roche constituait la magnifique capitale du royaume nabatéen (VIe siècle B.C. – Ier siècle A.D.).  L’explorateur veut en avoir le cœur net.

Face à la méfiance bédouine, le cheikh Ibrahim prétexte son vœu solennel de visiter la tombe du prophète Aaron, qu’il sait à proximité de Pétra. Le mausolée du frère de Moïse est situé au sommet du Jebel Haroun (Mont d’Aaron), au plein désert minéral. Pour s’y rendre, une seule voie : le canyon de grès rose, qui constitue également la porte d’entrée de la cité de Pétra.

Johann découvre ainsi en chemin le Trésor, l’Amphithéâtre, la Tombe royale, ainsi que d’autres monuments nabatéens et romains situés dans la plaine au sortir de la faille rocheuse.

Pour sa sécurité, l’explorateur tente de dissimuler son intérêt pour les monuments rencontrés, afin de mieux donner crédit à son pèlerinage religieux. Il s’abstient de tout relevé ou croquis des magnifiques ruines nabatéennes, comptant sur sa seule mémoire pour les reconstituer ultérieurement.

Vaine précaution, car son guide bédouin l’accuse bientôt d’être un Infidèle venu voler grâce à des pratiques magiques les trésors dissimulés dans les monuments par leurs constructeurs infidèles. Si les Bédouins n’ont pas encore localisé ces trésors, ajoute le guide, ils ne s’en laisseront pas dépouiller pour autant. Johann nie vigoureusement de telles mauvaises intentions.

L’explorateur et son guide local quittent bientôt la plaine pour s’engager dans la longue montée sablonneuse et rocailleuse vers le mont Aaron. En fin de journée,  ils atteignent la Terrasse d’Aaron, au pied du Mont éponyme.

Rompu de fatigue, pressé et tendu par la méfiance hostile de son guide, Johann renonce à poursuivre le lendemain l’ascension vers le mausolée dont il aperçoit au loin le dôme éclatant de blancheur. Le cheikh Ibrahim sacrifie alors la chèvre emmenée de Wadi Musa en guise d’offrande au prophète Aaron.

Le lendemain, le tandem regagne à Wadi Musa par le même itinéraire. Johann manque ainsi El Deir (le Monastère), le principal monument nabatéen de Pétra situé de l’autre côté de la vallée.

Johann quitte la région le jour même. Dans ses mémoires, il rapporte son intuition d’avoir découvert, au-delà du canyon de grès rose, les ruines de l’antique capitale nabatéenne. D’autres explorateurs européens confirmeront par la suite l’intuition historique de l’explorateur helvétique.

Johann Ludwig Burckhardt meurt au Caire en 1817 d’une crise de dysenterie, à l’aube d’une expédition vers les sources du Nil. S’il a échoué dans son grand projet nilotique, l’explorateur a tiré Pétra des limbes de l’oubli.

Mont d’Aaron

J’ignorais tout de Johann Ludwig Burckhardt  avant et pendant mon récent séjour à Pétra. Des hauteurs du Monastère, j’avais aperçu au loin le Mont d’Aaron et son mausolée, et décidé alors de m’y rendre. Par pure coïncidence, j’ai visité le tombeau d’Aaron en suivant et prolongeant l’itinéraire de Johann.

Parti à l’aube de Wadi Musa sans guide ni chèvre, je ne musarde guère pour atteindre la Terrasse d’Aaron en milieu de matinée. Guidé par le dôme immaculé et par un vague chemin, je gagne rapidement de l’altitude dans la caillasse sous un soleil impitoyable et une chaleur accablante. Hormis quelques tentes bédouines et des traces d’animaux domestiques, il n’y a pas âme qui vive. Le désert règne en maître.

Après avoir longtemps contourné la montagne, le sentier émerge enfin sur le dernier plateau, dans un univers lunaire. Au pied de l’ultime élévation, un bâtiment en dur. A mon approche, un homme en civil en sort, m’invite à l’intérieur. Un autre homme est alité, plus paresseux que souffrant. Tous deux nommés Mohamed, les policiers sont assignés à la garde du site sacré. Ils s’enquièrent de ma nationalité : « American ? ». Satisfaits, ils revêtent leurs uniformes pour m’accompagner au sommet du Mont d’Aaron. Je suis visiblement le premier, et sûrement le dernier, visiteur du jour.

Sous étroite surveillance policière, je pénètre dans le mausolée et signe le livre des visiteurs dans un silence pesant. Une fois sur le toit de l’édifice, l’ambiance se décrispe. Dans un décor naturel magnifique, l’un des policiers me propose une séance de photos souvenirs, avant de s’enquérir de mon adresse Facebook. Connections divines et réseaux sociaux font bon ménage au XXIe siècle.

Une fois de retour à la baraque des policiers, je décline le thé pour reprendre le chemin de Wadi Musa. Il est midi, mais il me faut avancer. Je dégringole la montagne avant que la chaleur ne me cuise tout à fait.

De retour sur la Terrasse d’Aaron, je jette un dernier regard vers la montagne sacrée. Bien plus bas, je m’affale dans un troquet pour une boisson fraîche. De là, je décide de couper à travers la montagne pour rejoindre le canyon, histoire de visiter à nouveau mon lieu favori découvert les jours précédents : Al-Madbah (l’Autel ou le Haut lieu du sacrifice).

Le Haut lieu du sacrifice (Al-Madbah)

Les contreforts de la montagne sont des plus spectaculaires et pourtant négligés de la plupart des visiteurs. Le décor minéral est aussi splendide que la montée est rude. N’importe, ce lieu sacré nabatéen vaut bien cet effort.

Peu avant le sommet, un âne déguste sans complexe l’ombre d’obélisques que les Nabatéens ont taillés en réduisant patiemment l’altitude du plateau rocheux.. A faire pâlir de jalousie un certain Gaulois…

Alors que le soleil et la lumière se font enfin plus cléments, je retrouve le Haut lieu du sacrifice, comme tous les jours de mon séjour nabatéen. Comment ne pas y voir la rencontre de la Nature, des Hommes et des Dieux ?

En contrebas, les grandes tombes nabatéennes m’appellent de leurs grandes ombres. Je dévale la montagne pour regagner le canyon.

Lorsque j’atteins le Trésor, le bâtiment resplendit encore de lueurs fauves. En m’engageant dans la dernière partie du Siq, je jette un dernier coup d’œil derrière mon épaule, comme Johann l’a probablement fait deux siècles auparavant.

L’explorateur helvétique n’a trouvé ni dérobé aucun trésor dans le Khazneh. Dans le film La dernière croisade, Indiana Jones y a découvert la coupe du Saint-Graal. Il a eu la sagesse de l’y laisser sous bonne garde.

Les Bédouins ont raison : Pétra croule de trésors. Mieux, le site est un trésor.

Bien à Vous,

Post-scriptum

Vous trouverez La découverte de Pétra rédigée par Johann Ludwig Burckhardt dans:  L. de Laborde et L.-M.-A. Linant de Bellefonds, Pétra retrouvée. Voyage de l’Arabie Pétrée, 1828. Paris: Editions Pygmalion/Gérard Watelet, 1994.

By Bertrand

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