Pakistan – Rire jaune – Punjab

Le cerf-volant, cette navette spatiale des enfants et des poètes, constitue au Pakistan une affaire sérieuse. Si sérieuse que la Cour suprême nationale en a interdit l’usage.

Le cerf-volant

Le cerf-volant est né probablement en Chine voici plus de deux millénaires. Une légende relate qu’un paysan ingénieux invente le cerf-volant en reliant son chapeau à une ficelle pour éviter que les forts vents n’emportent son couvre-chef. Selon une autre légende, un général Han conquiert une ville ennemie après avoir mesuré grâce au vol captif d’un cerf-volant la longueur d’un tunnel à creuser sous les fortifications de la cité assiégée. Une variante aérienne du cheval de Troie.

De l’Empire du Milieu, le cerf-volant se répand le long des routes commerciales asiatiques vers la Corée, le Japon, les mers du Sud et le sous-continent indien, jusque dans l’actuel Afghanistan. Dès le XVIe siècle, la peinture mongole indienne représente souvent un jeune homme usant un cerf-volant pour convoyer sa flamme à sa douce recluse.

Fête du Basant, Lahore

Depuis deux siècles, le cerf-volant est un invité de marque lors de la fête du Basant qui se célèbre surtout à Lahore, capitale du Penjab pakistanais. La fête du Basant célèbre l’arrivée du printemps. Elle est d’origine hindoue tout comme le terme « basant » qui signifie « jaune ». Car le jaune est la première couleur printanière à éclore, même au pays des purs pakistanais.

A Lahore, les jeunes filles en fleur se vêtissent de jaune durant les deux jours et deux nuits des réjouissances. Le Basant se tient traditionnellement dans les vieux quartiers. Le soir, les toits et les balcons des palais et des havelis (maisons traditionnelles) retentissent de fêtes mondaines, d’événements culturels et de compétitions de cerf-volant.

Duels de cerfs-volants

Les joueurs de cerfs-volants s’affrontent en duels aériens visant à couper les ficelles de commande de l’engin adverse. Les épisodes clé et leur dénouement sont salués par des cris, des roulements de tambour et des sonneries de trompette.

Ces dernières années, la fête du Basant à Lahore est malheureusement gâchée par des problèmes d’ordre public renforcés par d’obscures polémiques politiques.

Autrefois, la taille et les matériaux du cerf-volant, tout comme le comportement des joueurs, étaient strictement réglementés. Les virtuoses des duels de cerf-volant utilisaient des ficelles de coton amidonné, perchés sur des billots de bois et munis d’une ceinture de grelots pour limiter et signaler leurs mouvements intempestifs.

Dans les années nonante, les ficelles de nylon s’imposent pour leur résistance accrue. Plus récemment, elles sont enduites de verre, de particules d’acier ou même de diamant pulvérisé pour mieux terrasser l’adversaire. Les cerfs-volants se font toujours plus grands, les tactiques de jeu toujours plus agressives. Les enjeux monétaires croissent également en raison du sponsoring commercial.

Dès lors, les accidents liés aux compétitions ou au simple usage des cerfs-volants augmentent drastiquement. Les éditions 2004 et 2005 du festival du Basant à Lahore fauchent chacune une vingtaine de vies – la plupart suite à des gorges tranchées accidentellement par les cordelettes acérées.

Interdiction des cerfs-volants

D’où l’interdiction de la fabrication, de la commercialisation et de l’usage des cerfs-volants signifiée en 2005 par la Cour suprême du Pakistan, à l’exception d’une quinzaine de jours pour célébrer la fête du Basant.

En 2006, la première semaine de grâce précédant le festival s’est soldée par la mort de sept personnes. La Cour a donc signifié l’interdiction totale des cerfs-volants, ce qui a généré un vent de fronde parmi les festivaliers.

Dès lors, le festival du Basant qui s’est tenu à Lahore le week-end dernier a connu des situations tragi-comiques. Les forces de police ont survolé les vieux toits pour identifier et photographier la multitude de contrevenants. Elles ont ensuite pénétré les maisons ouvertes ou escaladé avec des échelles les murs des demeures restées closes, afin d’interpeller les contrevenants logés sur les toits.

Beaucoup d’entre eux ont eu le loisir de couper les ficelles délictueuses avant l’arrivée des intrépides policiers. Néanmoins, les autorités ont arrêté des centaines de personnes pour usage illicite d’un cerf-volant.

L’affaire comporte une dimension politique beaucoup moins drôle. L’opposition islamiste dénonce le caractère non islamique et même païen du festival du Basant en pointant du doigt ses origines hindoues et son ambiance jugée délétère.

Curieuse culture populaire au comportement socialement irresponsable. Curieuse culture politique dans le pays des purs, qui interdit les cerfs-volants plutôt que les ficelles coupe-gorge. De retour du flamboyant Rajasthan, je ris jaune face à cette pureté bien fade.

Lahore et le Penjab pakistanais

Si j’ai raté la fête du Basant de Lahore, je me console avec d’autres facettes culturelles du Penjab pakistanais et de sa capitale. La province est émaillée de magnifiques sites historiques et religieux, en commençant par la grande mosquée de Lahore.

Même en temps non festif, Lahore grouille de scènes captivantes de la vie quotidienne, ludiques comme besogneuses.

Le Penjab – colonne vertébrale du territoire nationale, artère vitale irriguée par le fleuve Indus, vivier agricole, pôle d’industries et de services – est étonnamment méconnue, y compris par nombre de Pakistanais.

Mausolée soufi, Multan

Mausolées soufis , Uch Sharif

Hormis le cerf-volant, le Penjabi pratique un autre loisir aérien : élever des colombes pour les dresser méticuleusement à voler en formation serrée. Les sifflements modulés du dresseur guide l’escadron ailé dans des manœuvres aériennes d’une complexité et d’une précision époustouflantes. Tout comme le cerf-volant, ces voltiges aériennes donnent lieu à des compétitions. Loisir noble, mais onéreux, on s’en doute.

Pour celles et ceux qui en doutaient encore, le Pakistanais ne craint guère la confrontation sur la voie publique…

Reflet de sa vocation agricole, le Punjab est abondamment doté en petit bétail.

Plus loin dans le sud-ouest, à proximité de Karachi, le pas nonchalant des dromadaires rappelle la proximité du désert de Thar, entre les Penjab pakistanais et indien.

Je n’ai rien évoqué du Balouchistan, ni d’autres régions du pays des purs. Voici fait, quelques visages balouches, dont la douceur enfantine s’estompe avec les duretés de l’existence.

Oui, le Pakistan a beaucoup à offrir, bien davantage que les lugubres sons de cloche qui retentissent dans les médias internationaux. Davantage aussi que le rire jaune qui m’animait à l’issue de la fête du Basant de Lahore.

Bien à Vous,

Post-scriptum

Pour les amateurs de cerf-volant et de littérature afghane : The Kite Runner, de l’Afghan Khaled Hosseini, relate les compétitions de cerf-volant qui ont rythmé son enfance passée à Kaboul. L’ouvrage a donné lieu à un film éponyme en 2007.

By Bertrand

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