Myanmar – Lac Inle – Vie princière

Princesse shan

En route de Yangon vers le pays shan, je me plonge dans l’autobiographie d’Inge Sargent, intitulée Twilight over Burma. My Life as a Shan Princess. Une belle introduction à cette magnifique région située dans la partie orientale du Myanmar.

La vie d’Inge ferait l’objet d’un conte de Grimm si elle n’était entachée des vicissitudes de son époque. Inge naît et grandit dans une Autriche rurale et modeste. Au sortir de la seconde Guerre mondiale, elle s’inscrit à l’université étasunienne de Denver. En 1950, Inge y rencontre Sao Kya Seng, un étudiant birman en ingénierie minière. Ils nouent leurs destinées trois ans plus tard. Le jeune couple décide alors de s’installer en Birmanie.

Leur navire accoste à Rangoon en janvier 1954, après plusieurs mois de navigation. Montée sur une flottille de barques, une foule à la joie effervescente ceinture le vaisseau. Inge s’en étonne. Sao lui révèle que ce sont des Shans comme lui, qui célèbrent le retour au pays de leur souverain et l’arrivée de son épouse Inge.

Le prince Sao Kya Seng est en effet depuis 1947 à la tête de l’État shan de Hsipaw, à la superficie quatre fois supérieure à celle du Luxembourg. « Je voulais être sûr que tu m’épouses pour de bonnes raisons », justifie-t-il piteusement. Stupéfaite, Inge soupçonne son cachottier de mari d’occulter un autre mariage avec une princesse shan. A demi rassurée par ses dénégations vigoureuses, elle déplore amèrement ne disposer d’aucune tenue vestimentaire de circonstance.

Le couple princier gagne Hsipaw, situé entre Mandalay et Lashio dans le nord-est du territoire birman. La région est fertile, rythmée par des montagnes verdoyantes et baignée de nombreux cours d’eau.

Inge étudie avec enthousiasme les langues shan et birmane, les us et coutumes locales, tout comme l’étiquette de sa condition princière. Avec son mari, Inge ne ménage pas ses efforts pour développer les structures encore largement féodales de cette société. Trois ans plus tard, Inge, rebaptisée Thusandi, est sacrée princesse de la principauté de Hsipaw. Elle vit heureuse avec son époux et leurs deux fillettes, parmi une population reconnaissante des progrès socioéconomiques accomplis. Tout bascule en 1962.

Le prince Sao disparaît dans les soubresauts du coup d’État de mars 1962. Le régime mlitaire birman n’a jamais reconnu son arrestation et moins encore son implication dans sa disparition.

Inge obtient officieusement le récit détaillé de sa captivité et de son exécution. Le prince Sao a vraisemblablement été éliminé afin d’étouffer les velléités nationalistes et indépendantistes des Shans, dont il représentait l’un des leaders politiques les populaires. Après deux ans de lutte opiniâtre pour clarifier le sort de son époux, Inge quitte la Birmanie avec ses deux filles. Elle retrouve un foyer au pays de l’oncle Sam. Tous les ans, ses enfants adressent aux autorités birmanes un courrier qui sollicite des informations relatives à la disparition de leur père.

Lac Inle

La dernière page avalée, je referme mon livre. Nous approchons du lac Inla, situé en plein pays shan. Un décor de carte postale. Des villages parsèment le littoral comme les eaux basses du lac. Des villages sur pilotis : peut-on plus romantique ? Oui, en ramant avec le pied pour se rendre à l’école. Ou en chevauchant un buffle domestique en plein exercice natatoire. Ou encore en pêchant sa sirène au moyen d’une grande nasse. Ou encore en cultivant de très fertiles jardins flottants à proximité des villages sur pilotis.

La technique de rame avec le pied dégage les deux mains pour la pêche et économise l’énergie motrice humaine. Comme ailleurs dans le pays, les buffles sont les tracteurs des rizières locales. Les jardins flottants compensent le manque de terre arable pour les habitants des villages sur pilotis.

Ici, même les tâches les plus humbles me paraissent exquises d’exotisme et de fusion harmonieuse entre l’humain et son environnement naturel. Rien d’étonnant que les habitants du lac Inle, les Intha, se nomment littéralement les « fils du lac ».

Une fois installé dans un petit hôtel, je brûle de découvrir la vie lacustre. On m’emmène en pirogue vers un marché local hebdomadaire qui draine les populations avoisinantes riveraines et montagnardes.

Le marché se tient sur la rive du lac, au pied d’une colline sumontée par une forêt de stupas décaties, battues et courbées comme un champ d’épis de maïs. Un espace extraordinaire, y compris par la mosaïque ethnique qui s’y assemble. Visages et manières rudes, Pa-O, Shan et bien d’autres y écoulent leur production et achètent ce qui leur manque. On y trouve même de la soie. Des moments exquis.

A la mi-journée, le marché local s’achève. Les lacustres embarquent pour leur port d’attache, alors que les montagnards regagnent leurs hauteurs. Après une halte dans la forêt de stupas décaties, je retourne à mon hôtel.

Le lendemain, je m’essaie à un tour en pirogue. Mon guide, femme du village me guide avec aisance, à la force de vigoureux mouvements de jambe,  à travers l’ample réseau de canaux relié aux eaux lacustres. Gêné, je lui offre mes modestes services de galérien. Elle refuse d’abord, accepte ensuite. Sans gloire, je ne me risque pas à ramer avec mon pied.

Le surlendemain me procure l’opportunité d’utiliser mes jambes de façon plus classique. Mon guide m’emmène pour une longue tournée à pied dans les montagnes avoisinant le lac Inle.

Dans un hameau, mon guide me demande : « Veux-tu visiter une famille Padaung ? » Je n’en crois pas mes oreilles, puis mes yeux. Ce peuple vit usuellement dans l’est du Myanmar, non loin de la frontière thaïe – bien loin d’ici. Les femmes padaung portent d’incroyables hauts colliers de cuivre qui peuvent peser jusqu’à cinq kilos.

Famille Padaung

Dans la hutte sont assises deux femmes, mère et fille. L’adolescente porte quelques anneaux de cuivre, auxquels elle superposera tous les quatre ans un anneau supplémentaire. Elle salue d’un geste et quitte les lieux. Quenouille en main, sa mère nous sourit et nous invite à nous asseoir à ses côtés.

Après les présentations d’usage, le guide engage une conversation en dialecte local. Je me contente d’observer, soucieux de ne pas bousculer ce moment rare et fragile.

La femme opine en ondulant son interminable cou de girafe muni d’une vingtaine d’anneaux cuivrés. Contrairement au sens commun, le cou des femmes padaung ne s’allonge pas ; ce sont leurs épaules qui s’affaissent graduellement. La femme padaung paraît d’une douceur et d’une sérénité inébranlables. Je m’enhardis à poser quelques questions en anglais, que le guide traduit. Après une demi-heure de lévitation, je prends congé, le corps perlé de sueur, la voix blanche et les jambes de coton.

J’ai longtemps cherché à connaître l’origine de cette pratique ancestrale des femmes padaung. Selon mon explication préférée, celles-ci cherchaient jadis ainsi à se protéger des attaques de tigres qui pullulaient dans l’est du Myanmar. Cette thèse me plait probablement parce qu’elle ’évoque mon monde à moi, où mon chat adorait attaquer et mordre le col des bouteilles déposées à terre. Explication féline plus qu’ethnologique et surtout peu scientifique, j’en conviens. Mais le Myanmar n’est pas le réceptacle de la rationalité.

Les Shan, eux, appartiennent encore à ma galaxie culturelle. Je souris toujours de la coquetterie des femmes shan, qui fichent toujours un peigne dans les volutes de la serviette éponge qu’elles portent en guise de coiffe. Et surtout, il y a le tanaka, préparation à base de l’écorce d’un arbre que la plupart des femmes birmanes utilisent à la fois comme lait corporel, crème solaire et produit de maquillage.

 Fête de Phaung Daw U

De retour au lac Inle, je retrouve les Inthas en effervescence. La fête de Phaung Daw U débute le lendemain. Elle voit le pèlerinage lacustre de quatre statues de Bouddha transportés de village en village à partir de la pagode Phaung Daw U où elles sont conservées le reste de l’année avec une cinquième statue similaire.

La pratique remonte au XIIe siècle, lorsqu’un souverain particulièrement dévot et prosélytique se déplaçait à bord d’un barge royale sur le lac Inle avec cinq représentations du Bouddha afin d’arrimer les populations lacustres à la foi bouddhiste.

La barge royale est hâlée par une litanie de rameurs à pied montés sur des dizaines de pirogues. Certaines d’entre elles comportent jusqu’à une centaine de rameurs à pied. Le cortège avance au son d’instruments et de tambours, transportés eux aussi sur des pirogues.

Massés sur des pirogues le long du cortège, les habitants des villages avoisinants prient, brûlent de l’encens et remettent des offrandes aux moines du cortège.

Des danseuses en riches tenues traditionnelles exécutent des chorégraphies particulièrement gracieuses, bien davantage à mon goût que la musique distillée par de bruyants haut-parleurs.

Le pèlerinage dure plusieurs jours, car il comporte plusieurs dizaines d’étapes – villages ou pagodes. A chacune des haltes règne une ambiance festive entretenue par les dévots et les inévitables marchands du temple. Le dernier jour, une course de pirogues nous ramène des hauteurs spirituelles bouddhistes vers le monde des hommes.

Vous l’aurez compris, le Myanmar est constituée d’une mosaïque ethnique éminemment complexe dont la cohésion est assurée par le politique et, dans une moindre mesure, le religieux.

J’ai été fasciné par cette diversité culturelle foisonnante malgré la difficulté du quotidien pour ces membres des petits nombres. Pas de vie princière pour ces minorités birmanes.

Durant mon retour vers Yangon, j’ai fait halte à Hsipaw afin d’y visiter la résidence princière d’Inge et de sa belle-famille. Propriété à la coquetterie charmante et décatie. Vous pouvez le faire aussi  grâce à l’autobiographie d’Inge Sargent.

Bien à Vous,

By Bertrand

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