Indonésie – Bali – Bon voyage !

On connaît souvent de Bali ces cartes postales de rizières terrassées et de volcans. Vous n’en verrez pas ici. On connaît malheureusement de Bali un tourisme balnéaire orienté vers le surf et la vie nocturne, sanctionné brutalement par les attentats meurtriers de 2002 et 2005.

Bali est bien davantage que ces images d’Épinal et que ce tourisme de bas étage. Ce magnifique archipel relie géographiquement comme culturellement le monde musulman indonésien au sous-continent indien. Bali est une minuscule enclave hindoue dans l’immense l’archipel indonésien. L’hindouisme balinais est mâtiné de croyances et de pratiques locales.

Mer omniprésente

Bali m’a séduit d’abord par sa mer, davantage que par ses plages de sable ou de galet. Une mer omniprésente, dont l’étreinte ceinture étroitement le littoral îlien. Une mer incontournable, aux ressources halieutiques vitales pour les Balinais. Une mer omnipotente, dont la force des rouleaux laminent les pirogues démunies de balanciers et forgent des caractères bien trempés.

Agriculture les pieds dans l’eau

Bali est tout en savants équilibres. Comme le riz accompagne harmonieusement le poisson, l’agriculture est consubstantielle de la pêche. A Bali, elle a souvent les pieds dans l’eau. A proximité de l’océan, les rizières n’en apparaissent que plus vitales et fragiles. Si bien que l’avenir des récoltes est laissé à la protection divine. La dureté du travail agricole et du climat balinais imprègnent durablement les visages paysans, burinent les peaux, décolorent les cheveux et embuent les yeux.

Spiritualité omniprésente

Outre son artisanat protéiforme et raffiné, Bali m’a surtout séduit par sa spiritualité ambiante. Lors d’une déambulation à Ubud, capitale culturelle au centre de l’archipel, j’aperçois une femme portant une haute charge d’offrandes. D’un pas vif et assuré, la Balinais me mène à un magnifique petit temple, qui paraît un décor de cinéma surréaliste. J’ai adoré la statuaire balinaise – théâtrale, baroque, sensuelle, presque bouffonne.

Outre les kyrielles de temples, l’archipel compte une myriade de petits autels votifs dans les maisons comme dans les rues, parfois à même le trottoir. Une religiosité bien ancrée dans le quotidien, discrète et sans tape-à-l’œil, aux antipodes de l’architecture complexe et chargée du palais royal d’Ubud.

Thanatocratie balinaise

La thanatocratie, nom culte du culte des morts, donne un autre aperçu de la culture balinaise. La mort à Bali n’est pas forcément triste. Elle célèbre un rite de passage vers l’autre monde, que les proches du défunt se font un devoir et un honneur de faciliter.

La cérémonie de crémation d’un défunt se tient à proximité d’Ubud. J’y arrive à l’heure dite, bien assez tôt pour cuire plusieurs heures sous le soleil balinais avant que la cérémonie ne débute.

Devant la maison endeuillée trône une arche de bambou. Deux constructions de bois et de bambou habillées de papier patientent comme moi. Un catafalque qui porte l’effigie du défunt, sur lequel sera transporté la dépouille jusqu’au bûcher. Un cheval qui l’emmènera dans l’au-delà, avec des provisions de voyage.

Après le décès, la dépouille mortelle est maintenue traditionnellement dans la maison familiale, sans chambre froide ni problème de conservation, me dit-on. On m’invite à entrer dans la maison pour le vérifier, ce que je décline poliment.

Les participants s’agglutinent peu à peu aux alentours de la maison : proches de la famille, musiciens, porteurs, femmes portant des offrandes, et tous les autres. Nul signe d’agitation ou de peine.

Soudain, les mouvements s’accélèrent, les voix s’élèvent. Enveloppé dans un linceul immaculé, le corps quitte la maison pour gagner son catafalque, porté par une forêt de bras.

Une fois la dépouille solidement arrimée, le cortège s’ébranle, emmené par les femmes portant les offrandes, que suit le cheval et enfin le catafalque. L’âme du défunt, elle, voyage à pied, jalousement gardée dans un récipient recouvert d’une étoffe.

Aux pas mesurés succèdent des élans virils ponctués par les clameurs des porteurs, comme pour donner au défunt l’impulsion nécessaire pour gagner son nouveau monde.

Le cortège s’interrompt dans une clairière, en lisière du village. Un petit groupe se détache pour se séparer de l’âme du défunt dans un lieu tenu secret.

Mille bras descendent précautionneusement la dépouille mortelle de son catafalque la glisser dans les entrailles du cheval. Les femmes portant les offrandes s’approchent en file indienne, afin d’y ajouter les provisions du voyageur.

Après une dernière prière, un homme boute le feu. La flamme ne fait qu’une bouchée du bambou et du papier ; elle met plus longtemps à défaire le bois et la dépouille enveloppée dans son linceul. En un quart d’heure, le feu a achevé son office de croque-mort.

L’épouse du défunt reste stoïque jusque au milieu de la crémation, puis éclate en discrets spasmes de sanglot. Sa famille l’éloigne alors que son compagnon entreprend son long voyage.

Je reprends le mien, tiraillé entre l’admiration d’un superbe cérémonial funèbre et l’empathie face à la douleur de l’épouse du défunt. Les Balinais ont choisi de ne pas choisir : leur deuil est tout en peine contenue, mais coloré et presque joyeux.

Bon voyage !

By Bertrand

Trotting the globe with vision, values and humour